Envers et contre tout, vous, adultes, parents, les sentez envahis par les écrans, dépendants d'eux, même. Vous les pensez incapables de se servir d'eux pour créer quelque chose. Prenez donc de la distance ! De quoi avez-vous peur ? D’une sollicitation permanente, d’une dégradation des relations humaines, d’un appauvrissement de la mémoire, de savoir comment vos enfants vont se développer, de voir leur vie privée menacée ? Et oui ! La vie numérique n'est pas sans dangers. Et les nouvelles technologies, si elles constituent un outil formidable de découverte et d'apprentissage, peuvent être source d'inquiétude et de souffrance mais ce n'est pas une raison pour mettre un frein au progrès. Simplement je pose certaines limites. Explication.

invention.bmpA titre personnel, je trouve la révolution des technologies de l'information et de la communication fascinante et inéluctable. Le progrès, oui, pourtant j’admets que, comme l’argent, les écrans sont de bons serviteurs, mais de mauvais maîtres. Je vous vois, dans l'ombre, ricaner : ainsi, vous convenez que les écrans sont dévoreurs de temps au détriment d'autres activités plus enrichissantes ! Certes, nous vivons à une époque où les écrans sont rois et font partie de notre univers quotidien. Je peux témoigner qu'il s’avère difficile d’y résister, il n'y a qu'à observer les enfants qui sont attirés comme par des aimants. Avec un écran toujours à portée de main, leurs moments de solitude, de rêverie et d'ennui sont rares ! Nos enfants ne sont pas tous des geeks, loin de là, bien que leur agilité souvent m'épate. Tiens, j’y pense, vous ne seriez quand même pas jaloux de leur dextérité ? Pourtant, je suis convaincue que l'informatique peut être utile dans leur éducation et leur processus créatif. Auparavant, notre soif d'apprendre, de nous informer et de découvrir était étanchée par les livres. Aujourd'hui, d’autres médias proposent une expérience différente et complémentaire. Que font-ils d'un tel outil, à quoi sert-il, comment s’inscrit-il dans une activité créative ? Voyons donc ce que cette consommation d’écrans a de positif.

Non… Vous n'avez rien contre les écrans… et l'affirmez haut et fort en préambule, comme si parler d'emblée des effets néfastes des nouvelles technologies vous exposait, à coup sûr, à un procès perdu d'avance. Bien évidemment, vous avez été parmi les premiers à acheter une tablette alors pourquoi dénoncez-vous le progrès, comme ceux qui craignaient, jadis, que la photographie ne prenne leur âme ? Le savez-vous, vous-mêmes ? Je ne sais pas si vous vous opposez à toute évolution par ignorance ou obscurantisme, incapables de réfléchir sous le poids des traditions, du passé ou tyrannisés par vos préjugés. Vos arguments sont solides, sans doute, et surtout d'une rare nouveauté ! De tout temps, les nouvelles techniques et les machines ont eu leurs détracteurs et leurs inventeurs ont été accusés de tous les maux. Voyez : Galilée a été persécuté par la superstition obscure des bons penseurs de l’Inquisition - il fut jugé hérétique et traité d'absurde -, la raison ne venant libérer les esprits et rétablir la vérité prouvée que bien plus tard. Pour l'heure, la peur des nouvelles technologies est vieille comme Internet avec sa netiquette élaborée par ses concepteurs car, comme vous, nos comportements avec les outils les inquiétaient déjà plus que les outils eux-mêmes.

Je ressens bien que quelque chose a changé dans notre intimité. Sur les murs de nos maisons, sur nos bureaux, dans nos sacs, dans la paume de nos mains, nous avons invité les écrans partout et en avons toujours un à portée de doigt, pour être sûrs d'être joignables et de joindre tout le monde, tout le temps... Oui, je vous accorde que la relation est différente et n'équivaut pas au contact humain où le croisement des regards, le langage du corps et le ton de la voix influent sur notre cerveau au-delà des mots. En admettant que ces éléments n’existent pas sur Facebook, les réseaux sociaux sont quand même un formidable créateur de liens et permettent de communiquer même en étant très éloignés. Ils donnent à certains le moyen de se socialiser par rapport à un groupe d’âge ou d'intérêt commun. N'oublions pas que le virtuel offre l’anonymat qui rend la communication plus facile : nous ne sommes pas obligés de nous dévoiler, peu importe l’âge, l'apparence...

Si vos adolescents sont devant leur écran, ils sont chez vous, chez eux, ils ne sortent pas. N’empêche que vous avez donné un Smartphone à votre petit dernier, on ne sait jamais… en cas de pépins ! Si, d'un côté, cela vous rassure, les parents ; d'un autre, vous ne voyez que le mal qu'ils ont à se concentrer tant ils sont sollicités par les jeux vidéo, SMS et autre messagerie instantanée, le mal qu’ils ont à se poser, à réfléchir – à quoi bon, posons la question à Google ! – ou à être un minimum présents tant ils passent d’heures sur Internet. Plus connecté, tu meurs ! Vous imaginez déjà vos petits anges harcelés par des suppôts de Satan de tout poil. Bien sûr, pour compléter le tableau, vous rendez les écrans responsables de la dégradation de vos relations et de l’absence de dialogue, mais peut-être était-il déjà difficile auparavant, n'est-ce-pas ?

Et puis, imaginez ! Quelle sensation de puissance pour un héros de jeux vidéo ! Quelle revanche pour certains… Cela peut être grisant voire réconfortant. Je pourrais démontrer, comme certains spécialistes, que les jeunes joueurs acquièrent un meilleur repérage dans l’espace, qu’ils développent une intelligence de déduction et aussi la capacité à faire plusieurs tâches en même temps, qu’ils apprennent une certaine ingéniosité, la solidarité et la combativité dont fait preuve leur personnage virtuel. Mais, pour vous, je sais, c'en est trop ! Vos enfants passent des heures à jouer en réseau sur leur console, à regarder des vidéos You Tube sur leur ordinateur... Il y a de quoi être inquiet, non ? Vous avez l’impression qu’ils s’enfoncent, tels des autistes, dans un monde faux et virtuel ! Vous craignez qu’ils finissent par se replier sur eux-mêmes, pareils à des zombies, et surtout perdre leur identité. Or, c’est justement l'identité qui fonde la créativité. Donc, les écrans freinent la créativité, CQFD ! Il est temps de remettre de l'ordre. Comme il vous est impossible de les surveiller constamment, mieux vaut limiter leurs horaires d'accès au Web ! Parents, vous êtes faibles ! La peur n’évite pas le danger… Le danger serait d’avoir peur. Encore une fois, Internet est une formidable fenêtre sur le monde. Pour que tout cela reste un plaisir, la solution est simple : montrons-leur plutôt l’exemple... Pourquoi ne pas leur proposer du contenu interactif et ludique pour leur permettre d'apprendre de nouvelles choses tout en s'amusant ? Pourquoi ne pas développer un intérêt commun, une complicité sous l’angle créatif qu’apporte l’ordinateur ?

Je dirais que l’ordinateur influence la démarche créatrice non pas à la manière d'un outil mais comme un partenaire d'un nouveau genre. La technologie n'a cessé de se rapprocher de nous. Elle nous obéit au doigt et à l'œil, au souffle et à la voix, elle répond à nos gestes. Santé, énergie, transports, loisirs... Toutes les activités humaines sont bouleversées ! Je pense aux sciences où l’usage de l’ordinateur a modifié la manière dont se font la recherche et les études. Je pense aux artistes qui utilisent l'informatique pour modéliser et créer leurs œuvres, par exemple, des compositions musicales. Je pense à l’éducation où elle intervient dans les disciplines scolaires traditionnelles, les enseignants pouvant modifier et remettre en cause ce qui est à enseigner et à apprendre dans de nombreux domaines. Je pense aux écrivains pour qui les technologies numériques transforment les pratiques d'écriture et pourquoi pas, pourraient influer sur le contenu de leurs œuvres. Les traitements de texte corrigent déjà automatiquement nos fautes, je parie que nous les verrons anticiper nos tournures de phrases et nos fautes de style, puis finalement écrire un roman à notre place. Je vous connais et j’anticipe vos critiques exagérées : vous allez me poser le problème des capacités créatrices de l'ordinateur ! Le grand mot est lâché : va-t-il nous remplacer ? A ce jour, il me semble peu probable que l’ordinateur dépasse l’être humain, et même qu’il lui soit égal, il lui manquera toujours la pensée, la conscience morale et la réflexion intelligente.

Je crois que nous avons déjà fortement commencé à déléguer une grande partie de nos tâches matérielles à la technologie pour nous concentrer sur notre plus-value indiscutable et discriminante : la véritable invention, la création. Pour ma part, je vois se dessiner un futur fascinant que les nouvelles technologies sont en train de préparer. Rêvons un peu... Tel Obi-Wan, héros de Star Wars, nous commanderons nos écrans par la pensée - ringarde, la souris ! Notre médecin nous suivra à distance grâce à des bracelets connectés - rigolos et parfaitement inutiles : c'est peut-être ce que vous pensez mais au-delà de simples gadgets, ce sont les prémices d'une nouvelle forme de médecine basée sur la prévention. Les prothèses intelligentes décupleront nos forces : nous serons bientôt aussi forts que Terminator ! Mais est-il souhaitable d'aller plus loin encore ? La déshumanisation n'est-elle pas à craindre dans la société informatisée qui est en train d'apparaître ? Toujours vos préjugés, vos craintes sclérosantes ! Mais des avancées passionnantes sont aussi à attendre. Ne boudons pas notre plaisir. Je me demande si nous avons encore le choix, si nous pouvons encore refuser le mouvement sans risquer d'être rejetés par la société. D’autant qu’en être ne suffit pas, il faut agir, réagir, interagir. Et il devient difficile de dire, entre l'homme et la machine, qui est disponible à qui. Vous nous voyez victimes de cet emballement. Je nous crois complices. Qui parmi nous a écrit le courriel de trop ? Qui a oublié son enfant devant une console ? Qui est l’ami usant et abusant du SMS ? Qui sinon… nous-mêmes ?

Catherine Mans

Août 2013