Personnellement je pense que la condition féminine n'aura pas avancé d'un iota une fois que tous les mots auront été rallongés et garnis de prothèses, j'y vois une simple mutilation de la langue. Bien que la formulation « le masculin l'emporte sur le féminin » soit à revoir, je n'y vois qu'une règle grammaticale et pas une arme de guerre pour valoriser mon sexe. Pourtant je sais que les mentalités doivent évoluer pour que la femme soit l'égal de l'homme, mais la langue française n'est pas à instrumentaliser pour des combats aussi légitimes soient-ils.

Les règles qui régissent la distribution des genres dans notre langue remontent au latin et constituent des contraintes internes avec lesquelles il faut composer. L’une de ces contraintes est qu’elle n’a que deux genres. Pour désigner les qualités communes aux deux sexes, il a donc fallu qu’une valeur générique soit conférée à l’un des deux genres afin qu’il puisse neutraliser la différence entre les sexes. L’Académie française a opté pour le masculin. Dis autrement, on a sexué les genres grammaticaux pendant des siècles pour bien marquer la domination masculine. Au XVIIe siècle, Beauzée, un grammairien de l’Académie, a déclaré que « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » ! Le langage a été délibérément masculinisé. C’est un fait. C’est notre histoire. Pourtant à notre époque, quand on dit ou écrit « ils sont écrivains » pour parler d’une assemblée d’hommes et de femmes, si on réfléchit bien, qu’y-a-t-il de sexiste ? « les notaires se réunissent entre eux une fois l’an ». Ça vous choque ? A quoi pensez-vous ? Que les hommes continuent de renforcer leur ordre ? C’est dans la tête car on a tous en nous quelque chose de féministe. Il faudrait se débarrasser de cet amalgame viral : genre grammatical = sexe biologique.

Une des difficultés est d’utiliser des noms dont le genre n’a rien à voir avec le sexe des personnes auxquelles ils s’accordent. Ils, écrivains, notaires et eux sont masculins, quand ils feraient référence aux deux sexes. Pour l’Académie française, c’est un masculin à valeur générique ou « non marquée ». Que ce soit le métier d’un homme ou d’une femme, on s’en tape ! Ecrivain, notaire, ce sont des métiers, point. En plus, cela ne pose problème que pour cette catégorie de mots. Celle qui fait référence à une appartenance sexuée... principalement aux métiers (un notaire n’est pas forcément un homme). Et je ne parle pas ici des noms épicènes, ceux qui ont la même forme aux deux genres (un ou une élève) et ceux qui désignent indifféremment une femelle ou un mâle (la perdrix, le papillon).

Tiens au fait, quand on parle d’une personne... c’est une femme ou un homme (vous remarquerez l’ordre alphabétique !) ? Et quand on parle d’un homme (un être humain)... c’est un homme ou une femme ? Car c’est là où le bât blesse. Homme, mot à la fois sexué et non sexué. Pourquoi est-ce précisément le mot s’opposant à femme qui a été choisi pour représenter l’espèce humaine ? Pourquoi est-ce le genre masculin qui a été choisi comme valeur générique en grammaire ? Ce qui bloque, ce n'est pas d'avoir un genre générique, il en faut un, mais c’est que ce soit le masculin qui ait été plébiscité. Je vous explique ? 😜

Bien. Peut-on s'épargner la généricité du genre masculin ? Apparemment oui. Pour preuve, les réformes mises en place dont l’écriture inclusive ne se libèrent pas de ce dogme de la théorie du genre. Exit la valeur générique. Là où jadis « un notaire » aurait valu pour les deux sexes - pour l’humanité -, il ne vaudra plus que pour les hommes. Tout terme générique à connotation masculine doit être banni. Alors on « féminise ».

L’écriture inclusive repose sur trois principes : accorder fonctions, métiers, titre et grades selon le sexe (on l’a déjà vu) ; inclure les deux sexes grâce à l’utilisation du point bas ou milieu ; ne plus employer femme et homme, mais des termes plus universels comme « les droits humains » à la place des « droits de l'homme ». Nous écrirons dorénavant « Bonjour à tous et à toutes », ou plus laid « Bonjour à tou.te.s », alors que « Bonjour à tous » serait suffisant grammaticalement parlant. Pourquoi ? Pour dire aux femmes qu’elles ne sont pas invisibles ? qu’elles ne comptent pas pour des prunes ? qu’elles sont l’égal de l’homme ? Après des siècles de discrimination, les femmes montent au créneau et veulent que leur sexe biologique soit entendu et reconnu même dans les mots. Visuellement (l’écriture inclusive n’a aucune répercussion dans la langue orale). Et pas seulement virtuellement par une fictive et discriminante valeur générique au service des garçons... Pour les féministes, changer les mentalités passe par les mots. Il est vrai que l'écrit devient prédominant avec les réseaux sociaux et les messengers divers et variés. Mais cela en vaut-il la peine ?

On lit dans les papiers spécialisés que faire évoluer la langue aurait le pouvoir de faire changer les représentations mentales. Montrer la femme par l’écriture permettrait une prise de conscience. Lors des études, il serait important de montrer aux étudiantes qu’il est possible d’accéder à un poste de directrice, et non de directeur. L’écrire de cette manière permettrait de se projeter plus facilement et de ne pas former des phallocrates et des filles soumises. Faire répéter dans les salles de classe que le masculin l’emporte sur le féminin, ce serait rendre l’infériorité de la femme acceptable plus tard, au travail, dans le couple... Si je réfléchis à un cas que je connais bien, le mien 😉, j’ai eu les titres d’ingénieur, de chef. À l’université, je me suis préparée à être cadre dans un secteur majoritairement masculin à l’époque, l’informatique. Toujours au masculin, et il y a quarante ans. Je ne pense pas être soumise pour autant. Mais le fait est que mes parents m’ont enseigné un monde où la femme étudie et réussit.

Il y aurait encore beaucoup à écrire, mais je peux quand même dire que l’écriture inclusive pointe une question essentielle. Toutefois, les crispations sont si nombreuses autour de cette écriture, qui pour certains défigure la langue, la rende inesthétique, illisible, impraticable pour le lecteur et celui qui écrit, qu’on est en droit de se demander si l’effet ne sera pas contre-productif.

La parité femme-homme à laquelle j’aspire est loin d’être entrée dans les mœurs. Égalité de droits, mais quid de l’égalité dans la vie courante : à la trappe la galanterie ? En effet, si la femme est l’égal de l’homme, pourquoi mériterait-elle toutes ces petites attentions ? On ne peut quand même pas avoir le beurre, l’argent du beurre et le baisemain du crémier.

Ce qui est sûr, c’est que j’aimerais pouvoir continuer à poser ma tête sur une épaule virile. Mais là je m’éloigne du sujet initial. Quoique !

Catherine Mans

Novembre 2017